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Lutte contre la surpopulation carcérale : comment garder le cap ?

Pénal - Peines et droit pénitentiaire
07/05/2020
En pleine crise sanitaire, le taux d’occupation carcérale est passé en dessous de 100 %. Les professionnels demandent alors au Gouvernement de poursuivre cet effort pour résorber définitivement la surpopulation carcérale. Retour sur les préconisations de la Contrôleure général des lieux de privation de liberté.
« Pour la première fois depuis plusieurs décennies, les prisons françaises ont connu, fin avril 2020, un taux d’occupation global inférieur à 100 % » introduit Adeline Hazan, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans une saisine adressée à la ministre de la Justice le 5 mai 2020.

En effet, Nicole Belloubet a indiqué qu’au 7 mai 2020 « le taux d’occupation moyen est de 98 % » (France Inter, 7 mai). Elle précise néanmoins que « cela cache des disparités. Les maisons d’arrêt ont un taux d’occupation de 111 % ». En effet, au 27 avril, l’Observatoire international des prisons annonçait que le taux d’occupation était supérieur à 100 % dans les maisons d’arrêt mais surtout, inégalitaire entre elles. En exemple : Villepinte 143 %, Bois d’Arcy 146 %, Meaux 157 % ou Nanterre 139 %. 
 
L’objectif de réduction de la surpopulation carcérale a donc été atteint. Et cette baisse est le résultat de plusieurs facteurs, à savoir la baisse du nombre d'incarcérations résultant du ralentissement de l’activité judiciaire (v. Covid-19 : les juridictions ferment, sauf exceptions, Actualités du droit, 16 mars 2020) et l'augmentation du nombre des sorties en détention (v. Covid-19 : ce que prévoit l’ordonnance adaptant la procédure pénale, Actualités du droit, 25 mars 2020).
 
« Répondant à une impulsion gouvernementale, ces mesures prennent des formes diverses : aménagements de peines, libérations anticipées ou choix de peines alternatives à l’incarcération » explique la Contrôleure. Même si pour elle, les directives gouvernementales ne suffisent pas (v. Covid-19 et détention : des mesures jugées insuffisantes, Actualités du droit, 16 avr. 2020). Elle proposait notamment, sans la limiter à deux mois, la sortie des détenus qui sont à six mois de leur fin de peine « comme l’eut voulu la logique du volet « peines » de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 ».
 

La surpopulation carcérale : un fléau français
Alors, luttant pour le respect du principe de l’encellulement individuel imposé par une loi de 1875, la CGLPL reconnaît que l’objectif n’est pas atteint mais que « le passage de cette barre symbolique démontre qu’il est possible de réduire la surpopulation pénale de manière efficace et rapide ».
 
Le constat est sans appel : la surpopulation carcérale a des impacts, au-delà du manque d’espace, sur la dignité des personnes détenues, sur les conditions de travail pour le personnel pénitentiaire, sur la montée de la violence mais également sur la réinsertion des personnes détenues en raison de la saturation.
 
Adeline Hazan tient alors à rappeler la condamnation de la France par la CEDH en janvier 2020 (v. Surpopulation carcérale : la France épinglée par la CEDH, Actualités du droit, 6 févr. 2020). La Cour de Strasbourg avait sommé la France de résorber définitivement la surpopulation carcérale par « la refonte du mode de calcul de la capacité des établissements pénitentiaires, l’amélioration du respect de cette capacité d’accueil et la création d’un recours préventif permettant aux personnes détenues, de manière effective, en combinaison avec le recours indemnitaire, de redresser la situation dont elles sont victimes et d’empêcher la continuation d’une violation alléguée » précise Adeline Hazan dans son courrier. La France doit rejoindre le mouvement européen de baisse de la population carcérale.
 

Objectif : éviter le retour à la surpopulation carcérale
Alors, comme demandé par de nombreux professionnels, il faut « empêcher tout retour à la situation antérieure ». À l’instar du Syndicat national des directeurs pénitentiaires qui, le 20 avril dans une lettre ouverte, demandait au Président de la République l’encellulement individuel. Il arguait qu’ « il ne sera en effet plus jamais possible de prétendre que l'encellulement individuel constitue un objectif inatteignable, que le numerus clausus est une chimère ».
 
Mais pour cela, « une ambition et des outils nouveaux sont donc nécessaires » assure la Contrôleure. Elle fait alors plusieurs recommandations.
 

Les préconisations de la Contrôleure général des lieux de privation de liberté
Adeline Hazan propose de compléter les mesures de politique pénale prévues par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 (L. 2019-222, 23 mars 2020, JO 24 mars). À savoir le fait de :
- favoriser le recours aux alternatives à l’incarcération ;
- réajuster le périmètre de la peine d’emprisonnement en fonction du principe de nécessité des peines ;
- remplacer les peines de prison par d’autres peines pour certaines infractions
- procéder à des mesures de dépénalisation ;
- s’interroger sur le sens des courtes peines « qui ont le plus souvent pour effet de provoquer de réelles ruptures dans la vie d’une personne condamnée sans qu’elle puisse bénéficier d’une aide quelconque en prison en raison de la brièveté de son séjour » ;
- prioriser les mesures alternatives à l’incarcération pour certaines personnes.
 
 
À noter : 27 226 personnes exécutent un reliquat de peine de moins d’un an de prison, dont 16 932 de moins de six mois (au 1er janvier 2020) indique l’Observatoire international des prisons dans un communiqué du 11 avril.
 

Ensuite, elle invite à réexaminer des dispositions du Code de procédure pénale et certaines pratiques, notamment concernant :
- la réduction de la durée des instructions et délais d’audiencement pour éviter l’allongement « inutile » des détentions provisoires ;
- la pratique de la comparution immédiate « consistant à requérir et prononcer des peines d’emprisonnement assorties d’un mandat de dépôt ».
 
Pour la gestion de la population carcérale, elle préconise une action en deux temps. « Il convient de combiner des mesures ponctuelles, visant à consolider rapidement le mouvement très largement amorcé de réduction de la population carcérale et des mesures de long terme permettant de respecter durablement la capacité d’accueil des établissements pénitentiaires ». Ainsi, il faudrait :
- à court terme, inscrire dans la loi l’interdiction générale d’héberger des personnes sans lit, chaise et place personnelle à une table tout en poursuivant l’effort de déflation pour ramener le niveau de population pénale à la capacité réelle des établissements, précisant qu’« on ne doit pas pour cela s’interdire de recourir à des moyens exceptionnels tels que la grâce ou l’amnistie » ;
- sur le long terme, mettre en place un dispositif législatif de régulation carcérale.
 
Il s’agirait alors de mettre en place un mécanisme obligatoire de régulation carcérale défini par la loi en instituant dans chaque juridiction « un examen périodique et fréquent (…) des situations de la population pénale afin de gérer les incarcérations et les aménagements de peine de manière individualisée, mais en veillant à ce que le taux d’occupation d’un établissement ne dépasse jamais 100 % ».
 
Il faut « cesser de voir la surpopulation comme une problématique essentiellement pénitentiaire et impliquer le législateur et tous les acteurs de la chaîne pénale dans la maîtrise de ce phénomène en intensifiant les échanges d’informations sur les données locales disponibles et en créant des outils de pilotage adaptés » souligne Adeline Hazan. Elle se réfère notamment à la gestion de la crise sanitaire pour laquelle autorité judiciaire et administration pénitentiaire sont parvenus à des résultats significatifs grâce à une action concertée et locale.
 

Pas de logique numérique pour le Gouvernement
Du côté du Gouvernement le son de cloche est différent. Nicole Belloubet affirmait le 7 mai 2020 : « je ne raisonne pas de manière numérique ». Pour elle il convient de « trouver un système de peine à la personne qui est condamnée, objet de la loi de 2019 dont les dispositions sont entrées en vigueur le 24 mars » (France Inter, 7 mai). À suivre ... 
 
Source : Actualités du droit