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117e Congrès des Notaires de France : « Moderniser et encadrer le contrat dans le monde numérique » : le notariat à la pointe !

Civil - Contrat
29/09/2021
Signature électronique, smart contract, extension de l’acte authentique à distance et reconnaissance légale de la réception à distance, quatre sujets d’actualité sur lesquels la 3e commission des notaires réunis à Nice du 23 au 25 septembre 2021 a travaillé. Quatre propositions adoptées pour faire avancer le droit du notariat dans le monde numérique.
Sous la présidence de Maître Xavier Ricard et avec Maîtres Laetitia Jossier et Caroline Chaunu, la troisième commission a adopté les quatre propositions suivantes :
  • sécuriser la pratique de la signature électronique d’un contrat en obligeant les prestataires à joindre un fichier précisant le type de signature utilisé à tout document signé électroniquement ;
  • intégrer dans le Code civil l’automaticité de l’exécution du smart contract ;
  • étendre le champ d’application de l’acte authentique par comparution à distance à tous les actes authentiques sans exception ;
  • et adapter le Code civil à la révolution numérique en intégrant la notion de « distanciel ».
Revenons plus en détails sur ces propositions touchant aussi bien à la formation du contrat qu’à son exécution et dont l’impact pratique est fondamental pour l’activité quotidienne de la profession.

Proposition 1 : « Sécuriser la pratique de la signature électronique »

Intervention de Caroline Chaunu.

Les notaires sont amenés à recevoir des actes avec des procurations signées électroniquement par leurs clients. Ils rencontrent des difficultés pour établir le niveau de signature présentée (simple, avancée ou qualifiée), vérifier la validité de cette signature et connaître la méthode de vérification d’identité employée par le prestataire lorsqu’il s’agit d’une signature avancée. De plus, ils engagent leur responsabilité en matière de vérification de l’identité des signataires, même sur des actes sous seing privé. Par ailleurs, le règlement européen eIDAS de 2014 (art. 24) qui distingue les différents niveaux de fiabilité des signatures électroniques leur interdit d’imposer le recours systématique à la signature électronique qualifiée.
 
Il convient par conséquent de donner les moyens aux praticiens de reconnaître aisément le niveau de fiabilité et de sécurité de la signature électronique qui leur est présentée. Cette sécurisation est envisagée par l’obligation imposée aux prestataires de joindre un fichier de preuve à tout document signé électroniquement précisant clairement le type de signature électronique utilisé au sens de la règlementation eIDAS, et la méthode de vérification d’identité employée pour une signature simple et avancée. La force probante d’une signature électronique qualifiée ne doit pas être supérieure à celle d’une signature manuscrite certifiée par une autorité publique. Le notaire n’a pas à ce jour les moyens lui permettant de procéder aux vérifications que la jurisprudence lui impose. Une adaptation des textes est donc nécessaire pour reconnaître cette équivalence entre la signature électronique qualifiée et la signature manuscrite certifiée.

S’agissant de la sécurisation de la signature électronique, il est proposé d’ajouter au décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 un article 1 bis en imposant l’adjonction d’un fichier de preuves devant faire apparaître s’il s’agit d’une signature simple, avancée ou qualifiée, l’identité du signataire, la méthode employée pour effectuer la vérification d’identité si elle a eu lieu et le type de document d’identité demandé et enfin la date de vérification de l’identité du signataire lorsque celle-ci a été préalable.

S’agissant de la non-discrimination à l’égard de la signature manuscrite, la commission propose de modifier l’article 1367 du Code civil en y intégrant un alinéa relatif à la signature manuscrite certifiée bénéficiant de la même présomption de fiabilité que la signature électronique qualifiée et de modifier l’article 5 du décret n°71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires concernant la vérification de l’identité. Cette proposition, plébiscitée, est adoptée à 98 % des votants.

Proposition 2 : « Intégrer dans le Code civil l’automaticité de l’exécution du smart contract »

Intervention de Laetitia Jossier.

La blockchain existe aujourd’hui dans presque tous les secteurs. Ses applications reposent sur une logique simple : en préférant un algorithme à un intermédiaire, on transfère la confiance à un outil technologique et communautaire. La blockchain ne va pas remplacer les notaires. Mais elle peut révolutionner leur façon de travailler. Cette évolution a déjà commencé avec les smart contracts. Le notariat doit s’intéresser au smart contract car plus l’économie sera digitalisée, plus ses utilisateurs auront besoin d’être entourés. Le notaire doit continuer à exercer dans le monde digital le rôle qu’il occupe dans le monde physique, un tiers de confiance certifiant les données entrées sur la blockchain et un conseil.
Le smart contract ou « contrat intelligent » (aussi « automate exécuteur de clauses ») est un protocole informatique permettant l’exécution automatique d’une obligation qui facilite, vérifie et exécute la négociation ou l'exécution d'un contrat. Il s'appuie sur la technologie blockchain pour sécuriser et rendre infalsifiables les termes et les conditions de son exécution.

Le smart contract n’est pas le contrat. Il s’y adjoint, il n’est qu’un mode d’exécution. Il est efficace en raison de son automaticité, son déterminisme et son irréversibilité. Mais il n’appréhende pas l’imprévu. Si le code initial ne le prévoit pas, aucun ajustement n’est possible. De plus, il n’est pas compatible avec l’exigence de justice contractuelle s’il n’a pas été programmé en ce sens. L’efficacité du protocole informatique ne doit pas exclure des principes juridiques aussi essentiels que la bonne foi contractuelle, la sanction de la fraude ou de l’abus de droit ou encore l’interdiction des paiements et poursuites individuelles lorsque le débiteur fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité.

Un cadre juridique doit être développé pour éviter les dérives et les excès du smart contract sans en brider son développement. Il est nécessaire de qualifier juridiquement le smart contract pour en déduire le régime juridique, afin de sécuriser les parties et donner au juge le moyen d’effectuer plus aisément un contrôle. L’exécution du smart contract a les particularités du paiement. Son intégration dans l’article 1342 du Code civil permettrait de reconnaître que c’est un mode d’exécution volontaire de la prestation due.

Il est proposé d’insérer un nouvel alinéa 3 à l’article 1342 du Code civil prévoyant que le paiement peut être automatisé par un protocole informatique. Cette proposition est adoptée à 86 % des votants.

Proposition 3 : « Etendre le champ d’application de l’acte authentique à distance (AACD) à tous les actes authentiques sans distinction »

Suite aux interventions de Maxime Julienne (professeur à l’Université de Paris-Saclay) sur l’état de la réflexion doctrinale sur l’acte authentique par comparution à distance et de Christian Revelli (Conseil supérieur du notariat, directeur du numérique et des systèmes d’informations) sur le plan technique, la commission rappelle que l’acte authentique par comparution à distance (AACD) est limité aux seules procurations. Les pouvoirs publics ne cachent pas leur souhait de le généraliser. Une extension à tous les actes serait compatible avec le fondement de l’authenticité́.

La commission envisage plusieurs hypothèses d'extension :
  • exclure les actes solennels : établir la liste des actes solennels n’est pas aisé. Ce serait contraire à la volonté des pouvoirs publics et contraire à la pratique notariale de ces derniers mois ;
  • exclure certains actes solennels : cela n’est pas aisé en pratique car les actes solennels sont très hétérogènes. Il y a un risque de discréditer les actes par comparution à distance autorisés et entraîner une authenticité à double vitesse ;
  • étendre à tous les AACD, qu’ils soient solennels ou pas. L’AACD est compatible avec les solennités requises par la loi visant à fournir la plus parfaite des informations afin de s’assurer du consentement réel, libre et parfaitement éclairé. Cet usage de l’AACD resterait facultatif.
Il est proposé aux notaires d’envisager l’extension à tous les AACD en modifiant l’article 20-1 du décret n°71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires, issu du décret n°2020-1422 du 20 novembre 2020, notamment en intégrant la phrase suivante : « Le notaire instrumentaire peut établir à distance tout acte sur support électronique, lorsqu'une ou toutes les parties ou toute autre personne concourant à l'acte ne sont ni présentes ni représentées physiquement. » Cette proposition est adoptée à 86 % des votants.

Proposition 4 : « Adapter le Code civil à la révolution numérique en intégrant la notion de distanciel »

Intervention de Xavier Ricard.

Le législateur français a admis le principe selon lequel l’écrit sur support électronique est l’équivalent de l’écrit sur support papier, ad probationem (L. n° 2000-230, 13 mars 2000) et ad valeditatem (L. n° 2004-575, 21 juin 2004). Plus récemment, l’effet juridique d’une signature électronique qualifiée a été reconnue équivalent à celui d’une signature manuscrite avec la modification de l’article 1367 du Code civil. Les pouvoirs publics ont fait le choix de l’équivalence du distanciel et du présentiel en matière de réception d’actes notariés.

La proposition consiste donc à modifier l'article 1369 du Code civil en intégrant la possibilité de recevoir un acte authentique à distance. La reconnaissance de cette équivalence se justifie par le fait que l’acte signé reste un acte public dès lors qu’il est reçu avec les solennités requises par un officier public chargé de contrôler et vérifier l’authenticité, vérifications possibles en dépit de la distance physique avec la partie à l’acte. Le recours à cette  possibilité resterait facultative. Cette proposition est adoptée à 95 % des votants.

 
Source : Actualités du droit