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Comment juger un prévenu devenu pénalement irresponsable en raison de l’altération de ses facultés ?

Pénal - Procédure pénale, Droit pénal général
11/10/2019
Faisant le point sur les suggestions de réformes déjà formulées et proposant de nouvelles mesures, la Cour de cassation revient, dans son rapport annuel 2018, sur la création d’une procédure spécifique pour les troubles physiques ou psychiques intervenant postérieurement à la commission des faits et empêchant la personne poursuivie de se défendre personnellement.

Le droit positif


« Il se déduit de ces textes qu’il ne peut être statué sur la culpabilité d’une personne que l’altération de ses facultés physiques ou psychiques met dans l’impossibilité de se défendre personnellement contre l’accusation dont elle fait l’objet, fût-ce en présence de son tuteur et assistée d’un avocat ; qu’en l’absence de l’acquisition de la prescription de l’action publique ou de disposition légale lui permettant de statuer sur les intérêts civils, la juridiction pénale, qui ne peut interrompre le cours de la justice, est tenue de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure et ne peut la juger qu’après avoir constaté que l’accusé ou le prévenu a recouvré la capacité à se défendre » (jurisprudence constante. Voir not. Cass. crim., 5 sept. 2018, n° 17-84.402, Bull. crim., n° 149 ; Cass. crim., 5 sept. 2018, n° 17-83.683).
 

La problématique


L’article 122-1 du Code pénal ne prend en compte que le trouble psychique ou neuropsychique, contemporain des faits ayant aboli ou altéré le discernement ou le contrôle des actes. Mais aucune disposition du Code pénal ou du Code de procédure pénale ne prend en compte l’apparition de troubles physiques ou psychiques chez un mis en examen ou un prévenu responsable au temps des faits.
La Cour de cassation en déduit que les magistrats, qui ne peuvent pas juger ces personnes incapables de se défendre personnellement contre l’accusation dont elles font l’objet, car dans l’impossibilité d’en comprendre la portée et de déterminer librement un système de défense, doivent renvoyer l’affaire à une audience ultérieure jusqu’à ce que le prévenu ou l’accusé ait recouvré la capacité à se défendre. Or, dans bien des cas, les experts ont conclu à l’irréversibilité de l’état de santé du prévenu.
Il ne pourra donc jamais être statué sur l’action publique ni, par voie de conséquence, sur l’action civile. De plus, la procédure devra être rappelée en pure perte à l’audience, ce qui n’est pas d’une bonne administration de la justice.
 

La solution


Dans son rapport 2018, la Cour de cassation met en avant l’idée de calquer une procédure sur celle créée par la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (L. n° 2008-174, 25 févr. 2008, JO 26 févr.), aux articles 706-119 à 706-135 du Code de procédure pénale. Cette procédure permettrait :
  • de constater l’impossibilité absolue de statuer sur la responsabilité pénale ;
  • de dire s’il existe des charges suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits reprochés ;
  • de se prononcer sur la responsabilité civile conformément à l’article 414-3 du Code civil ;
  • de statuer sur les demandes de dommages-intérêts.
La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (art. 42, L. n° 2019-222, 23 mars 2019, JO 24 mars) a adopté un article qui répond à cette problématique, en complétant l’article 10 du Code de procédure pénale par un alinéa ainsi rédigé : « Lorsque l’état mental ou physique d’une personne citée ou renvoyée devant une juridiction de jugement rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d’exercer sa défense et que la prescription de l’action publique se trouve ainsi suspendue, le président de cette juridiction peut, d’office, ou à la demande du ministère public ou des parties, décider, après avoir ordonné une expertise permettant de constater cette impossibilité, qu’il sera tenu une audience publique pour statuer uniquement sur l’action civile. La personne doit alors être représentée à cette audience par un avocat ».
Pour la Cour, cette solution « semble satisfaisante dans la mesure où il ne paraît pas possible, au regard des exigences européennes et constitutionnelles, qu’une personne incapable d’assurer sa défense, même assistée par un avocat, puisse être condamnée pénalement ».

Sur  la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, voir Formulaire ProActa procédure pénale, étude n° 1300.
Source : Actualités du droit